Le fédéralisme consociatif et la révision constitutionnelle. Perspective comparative sur la Belgique, le Canada et la Suisse | Dave Guénette
Dave Guénette, Le fédéralisme consociatif et la révision constitutionnelle. Perspective comparative sur la Belgique, le Canada et la Suisse, Québec : Presses de l’Université Laval, 2023, coll. « Ius publicum », 364 p.
Compte rendu par Mathias El Berhoumi (UCLouvain Saint-Louis Bruxelles ; Centre interdisciplinaire de recherches en droit constitutionnel et administratif [CIRC])
Issu d’une thèse de doctorat, l’ouvrage de Dave Guénette s’intéresse à la manière dont les constitutions sont modifiées dans les sociétés fragmentées. Il constitue à nos yeux un apport précieux à la science constitutionnelle, au moins à deux titres. Le premier, c’est de participer au renouvellement de la théorie du fédéralisme à travers son application à des contextes marqués par des clivages notamment linguistiques. Ces clivages ne traversent pas les sociétés américaine ou allemande, dont les institutions servent traditionnellement de modèle à cette théorie. Le deuxième intérêt de l’ouvrage est d’ordre doctrinal. On y trouvera la description rigoureuse des règles relatives à la révision constitutionnelle en Belgique, au Canada et en Suisse, en évitant les écueils comparatistes de la superficialité ou du manque de référencement à la littérature produite par des chercheurs « locaux ». Le propos ne se limite pas aux quelques articles que les constitutions consacrent à cette fonction, mais embrasse un ensemble plus large de traits institutionnels et de données historico-politiques qui l’influencent. La description présente aussi pour vertu d’informer le lecteur d’une série de spécificités procédurales : pensons au droit de retrait ou au droit d’initiative provincial que l’on retrouve tous deux dans le droit constitutionnel canadien, aux groupes linguistiques en Belgique ou à la garantie fédérale des constitutions cantonales suisses.
La question de départ est prise en charge à travers le prisme de la notion de « fédéralisme consociatif », qu’une partie préliminaire cherche à approcher. Après avoir succinctement – et donc, l’auteur en est conscient, de manière très parcellaire – présenté le fédéralisme et le consociationalisme, ces préliminaires identifient leurs points de rencontre et de divergence. Tant l’un que l’autre se traduisent, sur le plan institutionnel, par une autonomie de groupes ou entités subétatiques et par des dispositifs de nature à assurer leur participation à la conduite des affaires de l’État. Mais les deux termes ne vont pas toujours de pair : il est des États fédéraux qui ne recourent pas aux techniques consociatives, comme il existe des États unitaires où elles se pratiquent. C’est lorsqu’ils se combinent que l’on se trouve face au fédéralisme consociatif qui cumulerait non seulement les caractéristiques des deux concepts, mais en ajouterait d’autres, telle l’asymétrie. Dans cette perspective d’identification des exigences propres au fédéralisme consociatif, l’auteur formule l’hypothèse que la procédure de révision constitutionnelle devrait porter une attention particulière à la fragmentation de la société et prévoir des mécanismes ménageant une participation plus directe aux entités fédérées (p. 44-45). Ces exigences correspondent aux deux parties qui structurent le reste de l’ouvrage. Si l’auteur évoque la double dimension descriptive et normative du fédéralisme et du consociationalisme, il n’est pas toujours évident de situer le registre de son propos lorsqu’il conceptualise le fédéralisme coopératif. Forge-t-il celui-ci à partir de l’analyse des données constitutionnelles d’une série d’États ou le pose-t-il comme étalon théorique en vue d’évaluer celles-ci ? Sans doute la réponse n’est-elle pas aussi binaire que la question, mais elle ne manque pas d’accompagner le lecteur lorsque se déploie l’analyse de droit comparé entre la Belgique, le Canada et la Suisse. La partie préliminaire de l’ouvrage aurait aussi pu incorporer certains développements ultérieurs consacrés à des notions qui entretiennent un lien de connexité avec le fédéralisme consociatif, notamment le confédéralisme et le fédéralisme asymétrique, pour d’emblée mieux les articuler avec celui-ci.
Dans sa première partie, l’ouvrage s’intéresse aux mécanismes de changement constitutionnel relevant de la démocratie représentative. Il explore les traductions des dispositifs consociatifs identifiés par A. Lijphart de grande coalition, de proportionnalité, de droit de veto et d’autonomie segmentaire dans les règles relatives aux exécutifs fédéraux, aux conférences intergouvernementales, aux deux assemblées parlementaires fédérales, à la ratification des révisions par les entités fédérées, à leur droit d’initiative constitutionnel et à leur autonomie constitutionnelle. Ainsi, l’analyse s’intéresse tantôt spécifiquement à la procédure de révision, tantôt à d’autres aspects de l’architecture institutionnelle des trois États privilégiés sans, toutefois, perdre le fil rouge des modifications constitutionnelles dans les sociétés fragmentées. Le panorama est d’autant plus riche qu’il ne se limite pas à ces États. Des incursions sont réalisées vers les institutions des États-Unis, de l’Union européenne, d’Allemagne, d’Espagne, de Finlande ou encore d’Italie. Sans nier leur pertinence, elles donnent parfois une impression de cherry-picking. L’auteur y puise des considérations normatives, en écrivant, par exemple, que la majorité ordinaire pour réviser la Constitution dans les chambres basses canadienne et suisse s’inscrit « en marge de la normalité dans les régimes fédéraux » (p. 100), que « les chambres hautes de la Belgique et la Suisse, par opposition à celle du Canada, s’inscrivent davantage en conformité avec la conception contemporaine du bicaméralisme » (p. 121) ou, au contraire, que « la procédure d’initiative au Canada apparaît bien arrimée avec le principe du fédéralisme » (p. 168).
La deuxième partie du livre opère un changement de perspective pour s’intéresser aux techniques de démocratie directe, entendue de manière large puisqu’outre le référendum et l’initiative populaire, y sont incluses les élections en cours du processus de révision. L’angle est particulièrement intéressant, en ce que consociationalisme et démocratie directe sont souvent présentés comme antagonistes. Trancher au couteau des problématiques complexes et faire prévaloir la volonté des majorités structurelles, voilà autant d’éléments qui, de nature à attiser les tensions, se situent aux antipodes de la logique de négociation entre élites qui sous-tend les dynamiques consociatives. Si les expériences belge et canadienne semblent conforter cet antagonisme, l’auteur expose le cas suisse où les résultats des multiples votations suivent assez rarement les divisions linguistiques du pays. Plusieurs hypothèses sont formulées pour l’expliquer, parmi lesquelles la pratique de la double majorité du peuple et des cantons nécessaire pour réviser la Constitution. Sans offrir une protection absolue aux segments minoritaires, elle implique la recherche d’un large soutien, ce qui peut atténuer ses effets polarisants (dans ces conditions, il est même question de « référendum consociatif »). La place des élites dans les référendums et les initiatives populaires sera un paramètre tout aussi important pour penser ces outils dans la perspective du fédéralisme consociatif. Lorsque des espaces leur sont laissés, par le caractère consultatif du résultat du référendum, par une intervention dans la formulation de la question ou par la possibilité d’énoncer une contre-proposition, les mécanismes de démocratie directe s’inscriront davantage dans une logique consociative.
La conclusion – on regrettera l’absence de bibliographie, sans doute en raison de contraintes éditoriales – récapitule bien la démonstration effectuée tout au long de l’ouvrage et insiste sur cet enjeu de ne pas opposer le consociativisme à la démocratie directe. Peut-être aurait-elle pu être le lieu d’une discussion plus approfondie de cette notion de fédéralisme consociatif sur deux volets. Le premier, c’est celui de son articulation avec les théories du fédéralisme plurinational. Si l’ouvrage y puise nombre de références, elles ne sont pas mises en tension avec les sujets abordés dans le livre. Ces théories pourraient enrichir la notion de fédéralisme consociatif en distinguant le contexte mono- ou plurinational dans lequel elle se déploie et, ainsi, expliquer davantage certaines différences entre la Suisse, la Belgique et le Canada. Le deuxième volet est celui des limites de la démocratie consociative. L’auteur prend à bras le corps l’une d’elles, à savoir la compatibilité avec la démocratie directe. D’autres pourraient être abordées, comme la tendance à l’immobilisme, au cloisonnement dans les segments ou à la complexité et l’opacité des compromis élaborés par les élites.
Il n’en demeure pas moins que l’ouvrage est déjà conséquent et fait bien plus qu’apporter sa pierre à l’édifice. Ces quelques réflexions s’adressent plutôt aux travaux ultérieurs qui viendront confirmer l’intérêt heuristique du fédéralisme consociatif et le point d’appui qu’il peut offrir à des propositions normatives.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ds (18 avril 2025). Le fédéralisme consociatif et la révision constitutionnelle. Perspective comparative sur la Belgique, le Canada et la Suisse | Dave Guénette. Droit & Société. Consulté le 13 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13ryu