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Les dispositions inexploitées de la Constitution de 1958. Contribution au droit institutionnel de la Ve République  | Ferdinand Faye

Ferdinand Faye, Les dispositions inexploitées de la Constitution de 1958. Contribution au droit institutionnel de la Ve République  (préface de Julien Boudon), Paris : LGDJ, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », 2023, 432 p.

Compte rendu par  Maxence Unau (Universités Toulouse Capitole, Paris Panthéon-Assas et CY Cergy Paris)

Sur un sujet original – Les dispositions inexploitées de la Constitution de 1958 –, L’auteur livre une contribution claire, élégante et informée « au droit institutionnel de la Cinquième République » à une époque où les études de nature institutionnelle ont quelque peu tendance à se raréfier, même si un courant doctrinal qui est généralement dénommé « droit politique » continue de les mettre à l’honneur. Cette contribution vient à point nommé, car ce qui paraissait acquis en matière institutionnelle sous la Cinquième République – le présidentialisme majoritaire ou la cohabitation – est en train de disparaître progressivement : d’abord de manière discrète sous le mandat de François Hollande, avec le phénomène des « frondeurs » qui s’analyse implicitement mais nécessairement comme une remise en cause du leadership présidentiel, de manière un peu plus marquée entre 2022 et 2024, et de façon évidente depuis le résultat des législatives de 2024. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que certaines dispositions constitutionnelles qui étaient jusque-là inexploitées deviennent d’utiles ressources juridiques au regard du nouveau système politique qui est en train de se mettre en place. Quelques exemples viennent naturellement à l’esprit : l’article 47-2 concernant la discussion des projets de lois de finances, l’article 41 sur le droit d’amendement, etc.

Le premier intérêt du livre est de fournir d’utiles précisions terminologiques pour construire son objet. Les termes « dispositions » (p. 21), « constitutionnelles » (implicitement mais nécessairement, p. 35 et s.) et « inexploitées » (p. 23 et s.) sont assez longuement définis par l’auteur. Les dispositions sont définies comme des « énoncés déontiques » ayant « un support textuel » (p. 21). Cette définition possède le mérite de rendre compte de la tension entre des considérations matérielles et formelles dans le concept de disposition, ainsi que de dissocier clairement les dispositions juridiques des articles et des alinéas. L’auteur livre également une analyse extrêmement fine de ce qu’il appelle l’inexploitation juridique. Celle-ci se caractérise à titre principal par une absence ou une rareté dans l’utilisation (p. 24) caractérisée à l’aune du destinataire de la disposition (p. 32) et, à titre secondaire, par un élément temporel, car « lorsque l’on considère qu’une disposition n’a été appliquée que rarement, ce constat implique que l’on a pris en considération le temps écoulé » (p. 26). Grâce à ces réflexions, l’auteur est alors en mesure de proposer des définitions a contrario de l’inexploitation. Ainsi, celle-ci se distingue de l’inutilisation qui est selon lui davantage restrictive (p. 30). Il en va de même pour la distinction entre l’inexploitation et l’inapplication (p. 31). Enfin, l’adjectif « constitutionnel » semble être défini par rapport à l’idée de Constitution – entendue comme l’ensemble des normes juridiques suprêmes regroupées dans un document singulier – et non par la référence à une matière constitutionnelle dont la teneur devrait alors être définie (p. 35). Il convient toutefois de noter que l’approche de Ferdinand Faye en ce domaine n’est pas toujours aussi nette que ne pourrait le suggérer une lecture hâtive. L’auteur limite en effet son étude aux seules « dispositions institutionnelles » (p. 37), alors qu’une constitution ne contient pas seulement des dispositions consacrées aux institutions, réintroduisant ainsi des considérations de nature matérielle.

Malgré la grande perspicacité de l’auteur en la matière, comme le souligne Julien Boudon dans sa préface (p. 10), il est sans doute encore possible d’approfondir l’analyse conduite. L’insatisfaction la plus importante que pourra ressentir le lecteur en la matière est bien évidemment l’absence d’identification exhaustive, dès l’introduction, de l’ensemble des dispositions constitutionnelles que l’auteur considère comme inexploitées. Bien évidemment des exemples sont égrainés au fil des pages de l’ouvrage : article 49 alinéa 1 (p. 31), article 41 (p. 25), article 68 (p. 24), article 35 (p. 23), etc. ; mais il manque incontestablement une vision panoramique de l’objet d’étude.

Le second mérite de l’ouvrage Ferdinand Faye est d’offrir une typologie des causes du caractère inexploité de certaines dispositions constitutionnelles sous la Cinquième République. Techniquement, les différentes causes présentées sont dans l’ensemble exactes : l’incomplétude des dispositions (p. 53 et s.), les exigences pour leur mise en œuvre (p. 105 et s.), la concurrence avec d’autres dispositions (p. 143 et s.), les contradictions entre les différentes dispositions constitutionnelles (p. 173 et s.), les interprétations des juges constitutionnels (p. 209 et s.) qui peuvent être neutralisantes (p. 245 et s.) ou limitatives (p. 281 et s.), l’influence de la logique majoritaire (p. 313 et s.) et la prééminence de la lecture présidentialiste (p. 343 et s., et voir ma remarque supra sur l’éventuel avenir de dispositions aujourd’hui inexploitées). Néanmoins, il semble que sur ce point l’auteur ait adopté une position qui paraît un peu artificielle, mais certainement lénifiante pour la plupart des juristes, en cédant un peu trop facilement à une distinction trop marquée entre le juridique et le politique. Le lecteur en trouvera trace à maints endroits dans son livre. Si le plan retenu en est l’illustration la plus visible, il ne semble pas que cet aspect soit le plus critiquable – même si ce choix se révèle tout bien considéré assez peu heureux – car les deux éléments évoqués – le juridique et le politique – peuvent en réalité être coordonnés, bien qu’ils soient présentés dans des parties différentes. Le problème réside principalement dans l’emploi de certaines formules éparses qui traduisent la soudure malhabile de ces deux dimensions dans la pensée de l’auteur. A titre d’illustration, il est possible de se référer à l’affirmation suivante : « En somme, le non-usage empêche la transposition en fait de l’économie du texte constitutionnel [la dimension juridique], d’où l’écart qui sépare le droit applicable et le droit effectivement appliqué [la dimension politique] » (p. 47).

Par ailleurs, l’analyse des causes de l’inexploitation menée par Ferdinand Faye ne contentera pas pleinement les théoriciens du droit et les constitutionnalistes. Il manque a minima dans la conclusion et l’introduction une explication du cadre théorique de la concrétisation constitutionnelle mobilisé et de ses contributions aux modèles explicatifs retenus [car le cadre théorique d’un auteur n’est jamais le pur décalque d’un modèle, mais plutôt une articulation cohérente de différentes thèses jusque-là émises]. L’auteur ne se résout à aborder ces éléments que de manière éparse et sans vision d’ensemble. Ainsi, les développements consacrés à l’interprétation (p. 207 et s.) – qu’il ne limite pas, de façon fort judicieuse, aux juridictions – sont bien évidemment utiles, mais demeurent en eux-mêmes insuffisants. En effet, la « concrétisation constitutionnelle » ne résulte pas seulement de l’interprétation juridique, mais aussi d’un processus de création ex nihilo. Pourtant, s’agissant de la concrétisation, l’auteur aurait pu mobiliser une abondante littérature – consacrée à la typologie des normes de concrétisation[1], à l’écriture constitutionnelle[2], aux lacunes constitutionnelles[3] –, et donner ainsi davantage de corps à son propos ainsi qu’une réelle hauteur de vue à l’ensemble.

En dépit de ces quelques remarques critiques – qui sont le témoignage du caractère stimulant de l’ouvrage et sans doute l’expression d’une sensibilité différente dans la doctrine constitutionnelle –, il s’agit indiscutablement d’un des livres à méditer pour ceux qui souhaitent mieux comprendre le passage du texte constitutionnel au fonctionnement du régime politique d’un pays, thématique extrêmement passionnante pour le juriste.

 

[1] E. Untermaier, Les règles générales en droit public français, Paris : LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 2011, p. 371 et s.

[2]  A. Le Divellec, « Le style des constitutions écrites dans l’histoire moderne. Une esquisse sur les trois types de l’écriture constitutionnelle (XVIIème – XXème siècle), Juspoliticum, n°9 ; S. Rials, « Entre artificialisme et idolâtrie. Sur l’hésitation du constitutionnalisme français », Le Débat, 1991, n°64, p. 166.

[3]  J. Jeanneney, Les lacunes constitutionnelles, Paris : Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », 2014.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ds (28 janvier 2025). Les dispositions inexploitées de la Constitution de 1958. Contribution au droit institutionnel de la Ve République  | Ferdinand Faye. Droit & Société. Consulté le 18 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/136ek


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