Pénologie, science sociale | Guy Houchon (textes rassemblés, coordonnés et présentés par P. Reynaert, D. Kaminski et F. Gigain)

Guy Houchon, Pénologie, science sociale (textes rassemblés, coordonnés et présentés par Pierre Reynaert, Dan Kaminski et Francine Gigain), Chêne-Bourg (Suisse) :  Médecine & Hygiène, RMS, 2022, coll. « Déviance et société »,  204 p.

Compte rendu par Chloé Branders (École de criminologie de la Faculté de droit et de criminologie de l’UCLouvain ; CRID&P [Centre de recherche interdisciplinaire sur la déviance et la pénalité]).

« Pénologie, science sociale » est le syntagme qu’utilisait Guy Houchon pour désigner le projet épistémologique, méthodologique et théorique qu’il a mené durant ses années de recherche en criminologie sur les « usages de la prison ». L’expression s’est imposée comme titre pour cet ouvrage imaginé et coordonné par Pierre Reynaert, Dan Kaminski et Francine Gigain, qui étaient chacun et chacune proches de Guy Houchon, décédé le 23 avril 2019. Transparait dans ce livre un hommage à la fois puissant et intime à la pensée de ce chercheur incontournable en criminologie et à l’homme engagé, ami, collègue et époux qu’il a été.

Le livre est composé d’un recueil de neuf textes écrits par Guy Houchon entre 1980 et 1999. Si certains ont été publiés par le passé dans des ouvrages collectifs encore disponibles aujourd’hui, la plupart sont inédits. Les coordinateurs ont choisi de poursuivre un ordonnancement logique des textes, participant à ce qu’ils nomment une démarche de « tuilage ». Cette notion, empruntée à Jean-Christophe Bailly, renvoie à une articulation qui cherche sa cohérence dans le recoupement partiel d’éléments théoriques ou méthodologiques entre les textes et leur présentation. Ces éléments assemblés forment ainsi « un toit sous lequel une idée pourrait s’abriter »[1].

Les textes sélectionnés correspondent aux travaux macrosociologiques de Guy Houchon qui portent sur « la pénalité comme phénomène social global ». Selon les coordinateurs, ces écrits soutiennent en fil rouge la posture abolitionniste de Guy Houchon et contribuent à son projet de fonder la « pénologie » comme science sociale autonome. En fin d’ouvrage, on retrouve une bibliographie détaillée de l’auteur et un lien donnant accès à ses travaux non publiés, accueillis par le CRID&P.

Guy Houchon a été un précurseur et les textes sélectionnés surprennent par leur pertinence pour la pénologie actuelle. La postface écrite par Sonja Snacken (VUB) articule encore davantage les propos de Guy Houchon aux débats actuels sur l’exécution des peines, en reprenant les analyses des textes sélectionnés à travers trois grandes perspectives : l’évolution du système pénal et pénitentiaire en Belgique, les évolutions de la pénologie comme science sociale et le « renouveau de la pénologie comparée ».

En guise d’introduction, on découvre un texte ayant fait l’objet d’une communication au 3^e Forum des états généraux de l’écologie politique, en 1997, alors intitulée « Faut-il fermer les prisons ? ». Ce premier chapitre introductif traite du statut en droit des détenus et de l’abolitionnisme pénitentiaire. Il pose la question de « la légitimité de la détention comme mode de régulation des contentieux pénaux », invitant à s’interroger sur la qualification pénale des contentieux et à contester la solution pénitentiaire. Pour soutenir son argumentaire, Guy Houchon détaille certaines expériences personnelles qu’il présente comme indissociables de sa démarche scientifique traversée par la réflexivité, telle que sa détention volontaire durant une année, dans une prison belge. À la narration de ces expériences s’articule une réflexion sur la légitimation de la prison comme réponse pénale, en tenant sérieusement compte du point de vue des détenus, manifestement au centre de sa réflexion et de son engagement.

Le texte qui compose le deuxième chapitre s’éloigne également des carcans académiques pour poursuivre la rencontre avec l’auteur à travers la narration de souvenirs recoupant en partie ou prolongeant ceux évoqués dans le chapitre précédent. Dans ce chapitre, adapté du texte d’une conférence donnée à Athènes en 1989, Guy Houchon présente ce qu’il nomme « le mal pénitentiaire », à savoir ce « mal imposé par la loi, ou encore par le truchement de la loi, comme expression de la conscience sociale » (p. 26). À travers l’analyse de trois engagements de terrain qui correspondent à des expériences personnelles de « pratiques sociales dans le domaine pénal », entre 1966 et 1986, il s’intéresse aux manières dont s’implémente la légitimation de l’administration de la peine, ouvrant la réflexion sur les modes possibles de sa délégitimation. Il revient notamment sur plusieurs actions de contestation des détenus et sur les modalités de régulation des tensions qui ont été mises en place pour y répondre. Les jalons de l’analyse des effets pervers des tentatives de réforme de la prison sont posés et réformer est présenté comme une opération caduque. Dans ce second chapitre, on saisit déjà un premier élément fondamental de l’enseignement de Houchon : il ne faut pas tant tenter de réformer la prison qu’en faire véritablement une ressource ultime.

Cet argumentaire se poursuit dans le troisième chapitre, qui traite de la surpopulation carcérale, en mobilisant deux textes de 1987 portant eux-mêmes sur la détention préventive (entrées) et la libération conditionnelle (sorties). Les rôles de ces deux pratiques sont étudiés parallèlement et permettent de révéler l’importance du mouvement du flux et du stock des populations incarcérées dans la problématique de la surpopulation. À travers une analyse quantitative, l’auteur démontre les effets pervers de ces deux mécanismes pénaux et leurs impacts sur l’augmentation de la surpopulation carcérale, qui ne peut dès lors être solutionnée que par des modifications fondamentales de ces deux mécanismes pénaux.

Le chapitre 4 est consacré à l’analyse d’un autre mécanisme pénal : les peines incompressibles. Si la question de leur mise en application traverse les débats politiques, à la fin des années 1990, elle ressurgit encore régulièrement dans l’actualité. Le mouvement populaire qui a accompagné l’«affaire Dutroux», en Belgique, soutenait l’implémentation des peines incompressibles qui, selon l’opinion publique, devaient permettre de neutraliser les individus jugés irrécupérables. Les peines incompressibles et les croyances qui les accompagnent sont mobilisées comme illustration de la problématique du durcissement de la répression pénale à la fin du 20^ème siècle. Guy Houchon maintient une opposition ferme à la mise sur pied de ce type de mécanisme dont il présente une fois encore les effets pervers. Il déplore notamment la généralisation de réponses pénales qui devraient pourtant rester circonscrites à des « législations d’exception ». On peut retrouver le texte qui compose ce quatrième chapitre dans un ouvrage collectif de 1999.

Dans le chapitre 5, Guy Houchon revient sur un « vieux débat » à propos de l’effet d’incapacitation par l’emprisonnement présenté d’emblée dans le titre de ce texte comme faible, coûteux et contraire à l’éthique. Le texte critique l’idée fantasmée d’efficacité de l’emprisonnement contre l’augmentation du taux de criminalité. La démonstration que fait l’auteur invite notamment à interroger deux hypothèses qui justifient habituellement l’incapacitation : la première est qu’« un détenu ne délinque pas pendant sa détention »[2] et la seconde prétend que « les détenus ciblés dans la stratégie auraient commis de nombreux actes criminels s’ils n’avaient été détenus » (p. 97). Houchon invalide ces deux hypothèses par une démonstration logique complexe qui aboutit à l’échec flagrant de la prétention à la généralisation de l’emprisonnement comme moyen d’incapacitation. L’auteur analyse ensuite l’incapacitation « sélective » et « catégorielle » de manière critique, militant toujours pour la réduction de l’emprisonnement plus que tout autre chose. Il s’agit d’un texte publié à Bruxelles en 1994 dans un ouvrage collectif[3].

Le chapitre 6 part de la démonstration entreprise au chapitre précédent et donc d’une « remise en cause de l’épistémologie de la théorie des fonctions de l’emprisonnement » (p. 107) pour penser les « alternatives » à l’emprisonnement. Houchon souhaite y traiter sérieusement la question de la diversification de l’offre des peines afin de « faire un sort aux belles intentions qui ne traitent la pénalité qu’au regard des fonctions nobles qu’on lui accorde » (p. 107). Il critique les alternatives à l’emprisonnement par la démonstration de leur contribution à l’extension du filet pénal ­– approche qui sera ensuite fortement étudiée en criminologie. Ce chapitre est tiré et adapté d’un document de travail, daté de 1986, jamais publié, intitulé Le service au profit de la collectivité comme mesure (pénale) de remplacement. Analyse pénologique. La peine ou la mesure de travail d’intérêt général est donc au cœur de son analyse qui met en évidence notamment le risque d’amplification de contrôle social que ce dispositif fait courir.

L’analyse des fonctions de l’emprisonnement est le point de départ du chapitre 7 pour ensuite aller vers l’étude de l’usage de l’emprisonnement. On retrouve dans cette dynamique de pensée le projet d’une pénologie comme science sociale autonome se distanciant d’une discipline para-juridique. L’exposé fait ici « l’examen de la structure, des paramètres et de la dynamique des séries temporelles longues du taux d’emprisonnement » (p. 115) afin de « libérer » l’emprisonnement de l’analyse des fonctions de la peine, participant à sa rationalisation pour le comprendre comme fait social.

La réflexion sur « la place de la pénalité comme phénomène social dans la structure des rapports sociaux globaux » (p. 131) se poursuit dans le chapitre 8 intitulé La pénalité et le changement social. Le texte, tiré d’une communication lors d’une conférence en 1987, en Italie, répond de manière inductive à la question suivante : « Comment le changement social affecte-t-il la pénalité ? » et participe à l’élaboration d’une théorie des pratiques pénales autant qu’il en justifie la démarche méthodologique.

L’ouvrage se termine par Les propos optimistes d’un abolitionniste morose, déjà publiés dans un ouvrage collectif en 1999 et qui reprennent les sentiments de l’auteur après trente-sept années de travail en pénologie. Ce texte associe l’optimisme de Guy Houchon à son entrain des premières années de recherche et aux avancées éthiques qu’il attribue à la sociologie qualitative de la fin du siècle dernier. La morosité, elle, persiste face à l’inertie du système pénal et au renforcement de la légitimation de l’emprisonnement comme réponse prioritaire aux comportements désignés comme criminels.  

Ces quelques textes sélectionnés et assemblés permettent de saisir les mouvements qui caractérisaient le raisonnement de Guy Houchon et que les coordinateurs ont résumés par : « déconstruction armée des objets, désindividualisation et désidéalisation du savoir, orientation politique et éthique sans concession, servie par les droits humains et la méthode de l’abolition de la prison sinon du système pénal » (p. 7). Ainsi, Pénologie, science sociale est à la fois un retour vers le passé, un hommage et le témoignage très actuel de la complexité de se positionner comme chercheur face à la peine, comprise dans une acceptation large.

[1] J.-C. Bailly, L’imagement, Paris : Seuil, 2020, p. 9, cité dans l’ouvrage commenté, p. 11.

[2] Hypothèse vivement critiquée notamment par la recherche menée en France par l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) sur « La délinquance carcérale au prisme des peines internes », sous la direction d’Isabelle Fouchard et Anne Simon, dont le rapport est sorti en mars 2024.

[3] Commission Royale des Patronages, Justice et aide Sociale, 100 ans d’évolution. Reflets et perspectives de politique criminelle, pénitentiaire et sociale (1894-1994), Bruxelles : Bruylant, 1994.