Immersion dans les coulisses de la diplomatie environnementale internationale | Émilie Gaillard, Mohamed Ali Mekouar, Michel Prieur (dir.)

Émilie Gaillard, Mohamed Ali Mekouar, Michel Prieur (dir.),  Immersion dans les coulisses de la diplomatie environnementale internationale, Paris : Mare & Martin, 402 p.

Compte rendu par Pauline Milon (Aix-Marseille Université ; Paris 1 Panthéon Sorbonne)

Offrir un « regard du dedans de protagonistes ayant directement pris part à la fabrique et à l’opérationnalisation du droit international de l’environnement, comme parties prenantes intimement investies dans des processus de négociations environnementales » (Avant-propos, p. 33), c’est toute l’originalité de cet ouvrage trilingue conduit sous la direction d’Émilie Gaillard, de Mohamed Ali Mekouar et de Michel Prieur. Son ambition n’est pas de construire une théorie de la diplomatie environnementale qui analyserait la « science et l’art de la représentation des États et des négociations[1] » des instruments juridiques environnementaux. Il s’attache a contrario, à travers les récits de vingt-trois acteurs et actrices ayant effectivement pris part aux négociations multilatérales traitant de l’environnement, à « rendre compte du fonctionnement réel du droit international de l’environnement » (Avant-propos, p. 33). Adoptant une perspective pluridisciplinaire à la croisée des sciences juridiques et politiques, ces différents témoignages constituent un regard de l’intérieur nécessaire pour saisir les mécanismes et les difficultés propres à la négociation des accords multilatéraux sur l’environnement (AME).

Cette immersion dans les coulisses de la diplomatie environnementale internationale est articulée autour de deux axes explorant, d’une part, les perspectives mondiales et, d’autre part, les perspectives régionales de la diplomatie environnementale. À travers ces deux perspectives, les auteurs traitent diverses thématiques : la mise en place de politiques paysagères favorisée par l’adoption de la Convention du Conseil de l’Europe sur le paysage (M. Déjeant-Pons), la contribution des organisations internationales à la création d’une réserve de biosphère transfrontière (A. Michelot), la gouvernance des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts (P. Talla Takouam), l’étude des accords internationaux relatifs à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution (G. Moore) ainsi que de l’accord de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) sur les nuages de pollution transfrontière (A. S. Tolentino) ; ou encore le rôle du contentieux (C. Huglo) et plus généralement des juges (S. Burchi), makers d’une justice environnementale renforcée par la participation du public, appuyée notamment par droit de l’Union européenne (T. Lavoux) ainsi que par l’Accord régional sur l’accès à l’information, la participation du public et la justice en matière d’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes ou Accord d’Escazú (A. Nápoli). Malgré la diversité de ces thématiques, les contributions se rejoignent sur une finalité commune : elles s’attachent toutes à la compréhension du processus de négociation des AME via l’analyse de leurs caractéristiques propres. Pour cela, les auteurs examinent le contexte – juridique, institutionnel, géopolitique, historique ou encore scientifique – qui influence le rôle respectif des différents acteurs prenant part aux négociations.

À cet effet, la compréhension des stratégies d’alliance des États pour contrecarrer les divisions traditionnelles Nord/Sud dans les groupes de négociation met en lumière une évolution dans la répartition interétatique du pouvoir au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU). Cette transformation est étroitement liée à la prise de conscience par le Sud global des richesses offertes par  la biodiversité qu’elle abrite et de la nécessité pour les pays développés, au nom du principe de responsabilités communes mais différenciées, de prendre en charge le coût des mesures additionnelles de gouvernance environnementale et sociale (C. E. Di Leva). La montée en puissance du Groupe des 77 se traduit par un empowerment de ces parties prenantes, qui jouent un rôle accru dans l’échiquier de la diplomatie environnementale. L’émergence d’un décentrement géographique du pouvoir, que symbolise le choix de placer le siège du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) à Nairobi (D. W. Kaniaru), est  favorisée par certaines personnalités œuvrant pour la protection des ressources naturelles des pays du Sud.  Elles participent en effet  activement à la négociation des différents traités relatifs aux ressources phytogénétiques et à la diversité biologique  qui concilient  le principe de souveraineté nationale sur les ressources naturelles et de la libre disposition de ces ressources par des mécanismes assurant  la répartition juste et équitable des bénéfices découlant de leur utilisation (J. Esquinas Alcázar). L’Union européenne parvient quant à elle à jouer un rôle dans les négociations internationales en mettant en place une sorte de stratégie clanique qui vise  à faire parler les vingt-sept États membres de concert  en s’accordant en amont par le biais de ses institutions pour présenter une position commune. Dans ce sens, la Commission européenne a tenu une place centrale dans l’élaboration d’un compromis quant à l’interdiction générale et absolue de substances toxiques dans le cadre du Protocole pour la protection de la mer Méditerranée de 1996 (T. Scovazzi). Cette discipline est acceptée par les États dans la mesure où ils peuvent formuler, après la déclaration régionale commune, une déclaration nationale  pouvant s’apparenter à une position nationale (Y. Aguila).

Les États souverains sont ainsi les acteurs centraux de la diplomatie environnementale, la négociation des AME s’inscrivant dans l’ordre juridique international où la qualité de sujet de droit international a longtemps été réservée exclusivement à l’État. Parties au traité, les représentants étatiques prennent en effet la décision finale (B. Lalonde). Leur importance est plus flagrante lors des grands sommets dont la réussite dépend de l’implication effective des chefs d’État – en ce sens, la contribution d’Emmanuel Macron a été jugée cruciale pour lancer les négociations du Pacte mondial pour l’environnement (Y. Aguila). Le succès des négociations tient aussi aux compétences des membres des délégations étatiques, constituées de diplomates familiers des  instruments du droit international et du fonctionnement onusien. À l’inverse, l’ « analphabétisme » ou le manque d’expérience des délégués de la Convention européenne sur la gestion durable et la protection des forêts européennes  explique en partie l’échec de son adoption (E. Rojas-Briales). L’expérience de ces techniciens de la diplomatie leur donne des armes pour surmonter les attitudes de blocage en construisant par exemple une chronologie de la négociation facilitant l’adoption des AME. De fait, pour les instruments juridiques n’admettant pas de réserve, comme la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), il sera ainsi plus opportun de commencer par discuter des principes généraux, flous et peu engageants et de terminer sur les éléments les plus controversés (J.-P. Beurier). Par ailleurs, une très bonne connaissance de la politique intérieure et des institutions nationales est indispensable. Pour s’assurer que l’ensemble des participants d’une même délégation parlent d’une seule voix,  les diplomates doivent en effet tenir compte des potentiels conflits au sein des États et des risques de dissensions au sein de la délégation qui  peuvent en découler  (T. Scovazzi). Par ailleurs, une connaissance aguerrie des processus interagences facilitant l’intégration des analyses environnementales dans la négociation des accords de libre-échange s’est avérée très utile aux négociateurs étasuniens des traités commerciaux internationaux (G. Garver). L’expérience « de terrain » des différents contributeurs à cet ouvrage leur permet de dégager les principaux éléments qui facilitent de manière plus générale la conclusion de tels accords internationaux, comme l’instauration d’une certaine continuité dans les négociations, qui peuvent prendre plusieurs années (E. Maruma Mrema), l’importance des choix procéduraux pour que le processus aboutisse ou encore la nécessité pour les négociateurs de faire preuve de patience, de charisme et d’empathie pour que l’ensemble des parties aient le sentiment d’être entendues en dépassant les différences culturelles (C. E. Di Leva). Néanmoins, si l’expérience des diplomates est essentielle et devrait être proportionnelle à l’importance des instruments environnementaux impactant l’avenir de l’humanité, dans la pratique, les négociations environnementales ont souvent lieu dans la Deuxième Commission des Nations unies chargée des questions écologiques et sociales où officient les ambassadeurs juniors, « seconds couteaux », la fougue de leur jeunesse pouvant pallier leur manque de pratique (B. Lalonde).

Bien que les États mènent la danse lors des négociations, les AME sont élaborés dans un contexte juridique spécifique défini par le mandat donné par les gouvernements étatiques pour définir la ou les institutions qui abriteront et soutiendront les négociations. Les organisations internationales jouent alors un rôle clé de support et de soutien. À cet égard, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a été un acteur central pour le développement de la diplomatie environnementale par le biais du mandat conféré par l’article 13 de la Charte de San Francisco lui octroyant le pouvoir de promouvoir la coopération internationale dans le domaine politique et d’encourager le développement progressif du droit international et sa codification. En témoigne la convocation par l’AGNU des différentes conférences internationales allant de Stockholm en 1972 à Rio +20 en 2012 qui ont permis  l’adoption de nombreuses conventions environnementales (P. Kameri-MBote, A.-J. Gachie). Le secrétariat de la FAO a lui aussi joué un rôle de catalyseur dans les négociations des accords relatifs à la protection de la biodiversité et de la mer en mettant en contact les différents groupes et en facilitant de la sorte la création de liens entre eux, ou encore en informant les délégations de la rédaction de documents informels provisoires pour sortir d’un enlisement des négociations (J.-P. Beurier). En approchant le gouvernement des Bermudes, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a quant à elle été centrale pour l’élaboration de la Commission de la mer des Sargasses ayant pour ambition de conserver cet écosystème marin unique (D. Freestone, F. Sapsford). Enfin, le secrétariat de l’OCDE avait pris conscience, avant ses États membres, des implications économiques des dommages écologiques et prit en conséquence l’initiative de la création d’un Comité des politiques de l’environnement contribuant à l’adoption, dans le droit national, d’un principe d’imputation des coûts associés à la lutte contre les pollutions, le principe pollueur-payeur (P.-M. Dupuy).

Outre les États et les organisations internationales, les autres parties prenantes issues de la société civile ont été progressivement intégrées au processus de négociation des AME pour mieux représenter les intérêts des minorités vulnérables ou pour pallier les carences des États et de leurs gouvernements en matière de protection environnementale. Lors de  la tentative d’élaboration d’un pacte mondial pour l’environnement, la Global Pact Coalition, une association devenue ensuite une ONG accréditée auprès du PNUE  a ainsi joué un rôle essentiel pour la promotion et la médiatisation du pacte à travers le monde (Y. Aguila).  Son action n’aura toutefois pas suffit à contrer les résistances d’un bloc d’États à l’adoption de cet instrument contraignant (Y. Savadogo).

En conclusion, après avoir labouré de nombreux champs couverts par cette immersion dans les tréfonds de la diplomatie environnementale internationale, les auteurs et autrices dressent un panorama riche et original d’un champ disciplinaire en pleine mutation.

[1] J. Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles : Bruylant, 2001, p. 341.