Dress Codes: How the Laws of Fashion Made History | Richard Thompson Ford

Richard Thompson Ford, Dress Codes: How the Laws of Fashion Made History, New York: Simon & Schuster, 2021, 464 p.

Compte Rendu par Marie Mercat-Bruns (École de droit de Sciences Po, CNAM/LISE CNRS)

 

Cet ouvrage, « Dress Codes: How the Laws of Fashion Made History »[1] du professeur Richard Thomson Ford, de l’École de droit de Stanford, offre une critique multiforme en droit, en histoire, en science politique et en philosophie sur l’influence des codes vestimentaires à travers les siècles, fondée sur une recherche approfondie et rigoureuse.

L’analyse, brillamment menée, est centrée sur la construction historique et l’application à la fois des règles écrites sur l’apparence au sens large qui comprennent les normes vestimentaires, le maquillage, les bijoux, la coiffure, mais aussi des règles non écrites, qui sont plus nombreuses à l’heure actuelle. De la Grèce antique au Moyen-Âge, de la Renaissance à l’ère victorienne jusqu’à aujourd’hui, nous nous interrogeons peu sur la façon dont la mode peut être un moyen de communiquer des idées, des valeurs et des aspirations selon les tenues et les accessoires. De manière moins explicite, la mode révèle comment chacun se donne aussi un style (self-fashioning) et cet essai semble en contradiction avec la maxime « L’habit ne fait pas le moine ». L’auteur suggère que la liberté vestimentaire pourrait sans doute contribuer à affirmer son identité liée à un uniforme ou, au contraire, permettre de marquer une opposition avec certains standards vestimentaires et certaines valeurs.

Le livre recèle une dimension transnationale qui permet au lecteur de découvrir les codes vestimentaires et certaines pratiques liées à des tenues originales aux États-Unis dans différents espaces et lors de différentes activités : la ville, l’État fédéré, le lieu de travail, les lieux de manifestation, les clubs… Mais il pose également la question de l’apparence lors de certains évènements dans le monde entier, notamment en France, au Royaume-Uni, en République démocratique du Congo ou encore en Chine.   

Richard Ford conte l’histoire féconde des codes vestimentaires en les déconstruisant, en expliquant leur signification et parfois leur origine (tenue militaire persane à l’origine des talons, influence de l’uniforme militaire sur l’invention du costume) et même la façon dont certains se vêtent, comme le mentionne l’épilogue. 

Au fil des pages on comprend que le sujet de la mode et de l’apparence n’est ni trivial, ni frivole. L’ouvrage démontre que les codes vestimentaires ont pu primer ou contourner les règles de droit, parfois insuffisantes, pour garantir les droits fondamentaux des personnes. À  l’inverse, lorsque le droit impose des codes vestimentaires, il peut perpétuer des formes de domination et de subordination. Il existe une tension entre les codes vestimentaires qui, à travers les époques, reflètent des formes de domination et l’usage émancipateur du vêtement qui permet de mettre en avant une certaine identité personnelle, une vocation, une forme de résilience. Les vêtements des premiers colons américains ont pu, comme dans certaines communautés religieuses, exprimer l’abnégation ou d’autres signifiants liés au statut social ; c’est donc tout un langage à décoder. Sur la question du genre, l’analyse minutieuse de Richard Ford relate à la fois comment les époques ont progressivement construit un certain renoncement à la coquetterie pour renforcer la masculinité et ont, au contraire, permis de diversifier le choix de vêtements féminins et non binaires.

En matière d’égalité, l’auteur, en tant que spécialiste des questions de discrimination et s’inscrivant dans le mouvement des Critical Legal Studies (CLS), nourrit, par cet ouvrage, la réflexion sur le profilage racial systémique, sur le déni d’un souci d’apparence de l’esclave aux États-Unis, sur l’attachement fort des Afro-Américains à l’habillement comme moyen de préserver une certaine dignité, respectabilité en situation de précarité et de se protéger contre le risque de violence de la part de la police ou, enfin, sur l’usage des marques de vêtements et des couleurs par les gangs urbains. La question du voile et celle du harcèlement sexuel, comme celle de la transidentité et de l’intersectionnalité, sont évidemment abordées en se référant à la façon dont les juges évoquent de façon ambivalente l’apparence dans leur qualification juridique. Les considérations environnementales et la politique achèvent le propos, notamment autour du discours sur le développement durable et la lutte contre le gaspillage lié à l’industrie du prêt à porter.

En guise de méthodologie, l’ouvrage, rédigé comme une critique généalogique de la production normative autour de la mode, se fonde non seulement sur des recherches juridiques et socio-historiques visant une sélection de codes vestimentaires explicites et tacites à travers les époques et le monde, mais aussi sur des expériences plus qualitatives, relatant même les propos du père de l’auteur et quelques entretiens choisis dont un échange avec un éditeur actuel de revue de mode masculine (p. 362).

La structure de l’ouvrage est très didactique et retrace les grandes tendances de la mode ainsi que l’évolution de pratiques à plus petite échelle. Afin de scruter la façon dont les personnes maitrisent les codes vestimentaires et les raisons pour lesquelles elles les adoptent, une première partie examine l’usage des codes vestimentaires comme symboles de certains statuts au Moyen-Âge ou à la Renaissance. Le privilège de la noblesse en Europe permettait d’imposer des codes stricts avant que la bourgeoisie s’affirme plus tard également par son apparence pour gravir les échelons. Certaines communautés religieuses exigeaient la cornette, tombée plus tard en désuétude.

La deuxième partie de l’ouvrage retrace l’évolution de la mode – de l’opulence à l’élégance – au siècle des Lumières : apparait alors une plus grande sobriété vestimentaire masculine associée aux nouvelles valeurs de la raison, qui préserve cependant une nouvelle forme d’élitisme masculine à travers l’instruction. Cependant, malgré cette évolution, des codes vestimentaires plus rigides pour les minorités ethniques en Grande-Bretagne et pour les femmes (le corset) ont pu se maintenir jusqu’aux Années folles (flapper).

En troisième partie, l’auteur se plonge dans l’univers du vêtement comme signe de pouvoir. Est décrite la façon dont les Afro-Américains, à partir des années 1950, portaient leurs habits du dimanche pour protester dans la rue contre la ségrégation raciale. De même, les minorités noires affirmaient dans le passé leur radicalité, à l’instar des Panthères Noires qui ont lancé leur propre style en revêtant des vestes en cuir. Aujourd’hui, les jeunes Noirs se distinguent par leur  pantalon baggy et hoodie (capuches).

La quatrième partie du livre envisage la dimension politique de l’habit : la résistance progressive des femmes en pantalon, minijupe et même hijab, perçus comme différentes formes de transgression des normes vestimentaires sexuées ou genrées.

Une cinquième partie atteste de nouvelles attentes vestimentaires. Ce développement final montre aujourd’hui un double mouvement. L’auteur observe finement la prégnance des codes vestimentaires d’usage qui persistent dans les banques d’investissement et les cabinets d’avocats, entre autres. Ces symboles de statut social continuent à perpétuer des traditions de conformisme et de conduite sociale « bon chic, bon genre » liées à l’apparence, posant un défi aux autres employés en raison de leur origine ou de leur sexe. En même temps, la mode contemporaine laisse une place croissante à l’individualisme vestimentaire et à une certaine créativité pour réinventer des tenues mêlant le passé et le présent, des couleurs de cheveu futuristes, des piercings ou tatouages, le corps participant ainsi à l’identité performative.  

Quelles sont les leçons principales tirées de la lecture de cet essai ? Elles sont foisonnantes et d’une actualité brûlante. On peut personnellement choisir d’en mentionner trois. La première est celle du rôle ambivalent des codes vestimentaires : l’habit de Jeanne d’Arc est le symbole d’un travestissement courageux ; les hippies  se soulèvent contre la guerre du Vietnam ;  certains procès ont permis de dénoncer l’exigence de talons au travail ou  l’agression des personnes transgenres. Donc l’allure vestimentaire peut accorder du pouvoir pour créer des alliances utiles. Cependant les codes vestimentaires sont plus contraignants pour celles et ceux doté.e.s d’un faible pouvoir ou dépourvu.e.s de tout pouvoir : Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, par exemple, peut choisir de porter un simple sweat de sport à capuche (hoodie) sans craindre se faire arrêter par la police. Un deuxième enseignement du livre vient de ce qu’en scrutant les codes vestimentaires, on relève la dimension souvent pionnière de la mode, toujours en avance sur le droit. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la liberté vestimentaire n’est pas absolue ; les souhaits de neutralité envahissent les règlements intérieurs et la liberté d’expression est perçue comme plus noble : les exemples de combats pour l’égalité des femmes et des hommes ou celui des droits civiques en disent long sur ce sujet. Que dire, à ce propos, des Femens qui se dévêtissent ou de certains peuples autochtones qui cachent peu voire très peu leur corps ? Mais la leçon la plus étonnante est celle tirée de la comparaison internationale des codes vestimentaires : au-delà de leur dimension éminemment culturelle, elle révèle le caractère profondément humain de la conscience de l’apparence, signe de domination et d’émancipation. En outre, la mode est toujours une question d’argent mais elle  profite désormais à la fois du recyclage vestimentaire et du travail (in)décent de l’industrie textile.  

 

[1] Traduction proposée du titre: « Codes vestimentaires : comment les règles de la mode ont façonné l’histoire ».


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