Politiques de la fusion. Organisations, services, territoires | Clément Arambourou, Emmanuel Négrier, Marion Paoletti et Vincent Simoulin (dir.)

Clément Arambourou, Emmanuel Négrier, Marion Paoletti et Vincent Simoulin (dir.), Politiques de la fusion. Organisations, services, territoires, Paris : LGDJ-Lextenso, 2021, coll. « Droit et Société. Recherches et travaux », 257 p.

 Compte rendu par Anne-Cécile Douillet (CERAPS – Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales, UMR 8026, CNRS, Université de Lille)

Politiques de la fusion s’inscrit dans le prolongement d’un certain nombre de travaux sur la merger mania dans les administrations publiques, que la littérature internationale comme la recherche française ont constitué en objet d’étude. L’ouvrage fait ainsi référence à la matrice proposée par Philippe Bezes et Patrick Le Lidec, qui invite à analyser la genèse des fusions dans une administration donnée, en fonction des acteurs (internes ou externes), des ressorts (enjeux cognitifs ou matériels) et du caractère plus ou moins publicisé du processus politique[1]. L’opérationnalisation de cette matrice, mobilisée à la fois par Clément Arambourou et Marion Paoletti en introduction et par Frédéric Pierru dans la conclusion de la première partie, n’épuise pas cependant l’objet de l’ouvrage, qui affiche une triple ambition, sur laquelle Emmanuel Négrier et Vincent Simoulin reviennent en conclusion : (1) interroger la logique générale des transformations en cours au regard des modes de gouvernement de l’administration ; (2) analyser des fusions en cours, de manière processuelle, en prêtant attention aux acteurs, à leurs intérêts, représentations et stratégies ; (3) rendre compte des effets des fusions sur les organisations comme sur les politiques publiques. Dans l’introduction, C. Arambourou et M. Paoletti ajoutent une quatrième dimension : restituer les propriétés des acteurs impliqués, ce qui peut venir enrichir la deuxième perspective. Il s’agit en tout cas d’étudier des « fusions chaudes », à l’échelle d’une dizaine d’années (depuis la fin des années 2000).

Centré sur la France, l’ouvrage met en parallèle trois catégories de fusions, qui alimentent trois parties de taille inégale : les services de l’État, les universités, les collectivités territoriales. Un spécialiste du domaine conclut chaque partie, proposant d’utiles synthèses et mises en perspective intermédiaires. Une autre spécificité de l’ouvrage est de faire intervenir non seulement des universitaires mais aussi des acteurs administratifs. Ce choix, qui conduit à juxtaposer des analyses de registres différents, aurait mérité d’être explicité et travaillé pour qu’on en saisisse la plus-value.

La première partie de l’ouvrage, sur les fusions dans l’État, ne compte que deux chapitres, sur lesquels F. Pierru revient en conclusion en y ajoutant ses propres travaux sur la création des agences régionales de santé (ARS). Marion Demonteil s’intéresse au « rapprochement » des inspections de la culture tandis que Jean-Marie Pillon et Luc Sigalo-Santos reviennent sur la fusion de l’ANPE et des Assedic dans une nouvelle structure : Pôle emploi. Le premier cas illustre la « force d’une intégration faible » (F. Pierru) : la fusion a d’abord peu d’effet du fait du maintien de « collèges » spécialisés dans les corps d’inspection fusionnés mais, sous l’effet du renouvellement générationnel et de la valorisation du principe d’indépendance, elle favorise la marginalisation des inspecteurs défendant le modèle de l’expert professionnel au bénéfice des hauts fonctionnaires généralistes. Dans le cas de Pôle emploi, sa création en 2008 devait s’accompagner de la mise en place du conseiller unique : si cette mesure est abandonnée au bout d’un an, la fusion n’est pas sans effet dans la mesure où elle a créé des attentes chez les usagers, ce qui met les conseillers en porte-à-faux. Ces deux exemples montrent l’importance d’envisager les fusions par-delà leur contenu « matériel » et sur un temps suffisamment long. C’est aussi ce que souligne F. Pierru par le lien qu’il fait avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) conduite pendant le mandat de Nicolas Sarkozy : alors qu’elle apparaît comme une étape dans une dynamique de plus de trente ans pour les inspections de la culture, elle constitue une rupture dans le cas de Pôle emploi et l’aboutissement d’une dynamique amorcée en 1995 dans celui de la santé.

La deuxième partie du livre comprend quatre chapitres qui, tout en adoptant des angles différents, font ressortir le caractère très organisationnel des fusions universitaires, assez loin finalement des enjeux d’enseignement et de recherche, comme le souligne Christine Musselin dans la conclusion de partie. Ainsi, si le bilan tiré par les inspecteurs généraux Philippe Bézagu, Guillaume Bordry et Jean-Luc Rossignol se veut positif (« la refondation de ces établissements est assurément réussie », p.75), les trois auteurs soulignent pourtant que les conséquences sont limitées sur le cœur d’activité des universités ; ce sont surtout la « professionnalisation » de l’administration et sa performance accrue qui sont mises en avant. Dans le chapitre suivant, Mylène Belbezier et Marie-Virginie Léon, doctorantes en sociologie, se concentrent sur deux universités fusionnées, celle de Strasbourg et celle de Lorraine. Chacune avec ses spécificités, elles ont mis en place un niveau intermédiaire entre les facultés et l’Université : les collégiums et les pôles scientifiques. Leur portée apparaît finalement limitée : ils n’ont pas de stratégie propre et ne font pas disparaître les autres canaux d’articulation entre le centre et les composantes. Les deux autres chapitres de cette partie se penchent sur les effets des fusions sur les métiers et la hiérarchie des postes au sein de l’administration universitaire : M. Paoletti évoque un certain nombre de transformations dans les services et, en les questionnant sous l’angle du genre, montre que la fusion dans l’université étudiée a plutôt été favorable aux femmes, au niveau des postes de direction, même si la fusion a été une « affaire d’hommes » et si un plafond verre se maintient au niveau de la direction générale. Au passage, elle laisse voir le fort investissement de certains personnels, qui ont vu dans l’entreprise de fusion une opportunité de mobilité professionnelle. C. Arambourou montre pour sa part, à partir du cas bordelais, comment le recrutement de personnels extérieurs à l’Université pour mener à bien la fusion, dans une logique d’internalisation de la fonction de consultance, nourrit une forme de professionnalisation du personnel d’encadrement et la mise en place de nouvelles directions, comme celle de « l’amélioration continue ».

Alors que les fusions étudiées dans la première partie de l’ouvrage sont imposées, et celles des universités optionnelles – même si elles y sont fortement incitées –, les fusions de collectivités territoriales étudiées dans la troisième partie sont, pour une part, imposées (celles des régions en 2016 notamment), pour une part plus encouragées que contraintes. Dans le chapitre 9, Mehdi Arrignon et Thomas Frinault en retracent l’histoire, insistant en particulier sur le mouvement postérieur à 2010, avec les communes nouvelles, les fusions d’intercommunalités et la fusion des régions. Ils soulignent la récurrence des arguments d’économie budgétaire, difficilement démontrables, et les enjeux de monstration du changement et du volontarisme politique qui sous-tendent ces politiques. Les quatre chapitres qui encadrent celui-ci portent tous sur les régions. Dans l’entretien qu’elle a eu avec Anaïs Lafage-Coutens, la directrice générale déléguée à la Transformation de l’action régionale en Occitanie revient sur les attendus et les difficultés de la fusion et, comme Jules Nyssen, délégué général de Régions de France, voit avant tout dans cette réforme une source de modernisation administrative. J. Nyssen en fait par ailleurs le fondement d’un accroissement des compétences des régions, en phase avec leur « visibilité », leur « légitimité » et leur « agilité ». Les deux autres chapitres de cette troisième partie analysent le changement d’un point de vue plus sociologique : E. Négrier et V. Simoulin détaillent différents effets, toujours en construction, de la création de la Région Occitanie, sur l’organisation administrative comme sur le contenu des politiques régionales. Ils montrent aussi comment la fusion révèle la consistance des régions préexistantes. Cette perspective est aussi celle de Léa Sénégas, via les politiques de soutien à l’agriculture biologique en Auvergne Rhône-Alpes : d’un côté, l’autrice souligne l’échec du « polycentrisme compensatoire », destiné à préserver la plus faible des deux régions fusionnées ; de l’autre elle montre comment l’opposition à la nouvelle politique régionale crée une forme d’intégration des acteurs à l’échelle de la nouvelle région. Dans sa conclusion de partie, Alain Faure s’étonne du caractère dépassionné de toutes ces fusions, sans « projet ni résistance ». Comme celles étudiées dans les parties précédentes, et comme le souligne aussi la conclusion générale, ces fusions sont en effet principalement le fait de professionnels de l’organisation, avec des conséquences sur les pratiques et hiérarchies administratives plus que sur l’activité même des organismes fusionnés. Pour autant, ces « politiques de l’organisation » ont aussi à voir avec des changements d’orientation de l’action publique : le cas de Pôle emploi, dont la création va de pair avec un plus grand contrôle des chômeurs, le rappelle, mais aussi celui des universités et des régions : les fusions ne sont pas sans effet sur la redistribution des ressources, même si, dans le cas des universités, cela est sans doute surtout le fait des dispositifs de financement qui poussent à la fusion.

[1] Philippe Bezes et Patrick Le Lidec, « Politiques de l’organisation. Les nouvelles divisions du travail étatique » et « Politiques de la fusion. Les nouvelles frontières de l’État territorial », Revue française de science politique, 66 (3), 2016, p. 407-433 et 507-541.