Genre, droit et politique | Charles Bosvieux-Onyekwelu, Véronique Mottier (dir.)

Charles Bosvieux-Onyekwelu, Véronique Mottier (dir.), Genre, droit et politique, Paris : LGDJ, coll. « Droit et société – Maison des Sciences de l’Homme », Vol. 61, 2021, 253 p.

Compte rendu par Claire Bloquet (IParl – Berlin / CESSP – Paris)

 

A qui observe la vie politique française en ce début de la décennie 2020, il semble parfois que la question du genre, et par extension celle de son inclusion ou non dans tel texte de loi ou telle politique publique, ne cesse de revenir dans le discours public. On la retrouve aussi bien lors des  plus officielles séances parlementaires que dans les polémiques sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, l’ouvrage collectif que présentent ici Charles Bosvieux-Onyekwelu et Véronique Mottier apparaît comme particulièrement bienvenu. Se donnant comme objectif d’interroger le droit sous le prisme du genre, le recueil a l’ambition de son sujet. Il regroupe en effet dix-huit contributrices et contributeurs, venu·e·s du droit, de la sociologie et de la science politique, et s’appuie alternativement sur des chapitres présentant des enquêtes empiriques – qualitatives ou quantitatives, par entretiens, archives… – et d’autres prenant au contraire le parti de la réflexion théorique ou juridique. L’objectif de cette grande diversité de contributions est à la fois d’explorer des facettes différentes de la relation entre genre et droit, mais également de faire émerger un dialogue entre des approches disciplinaires qui n’ont pas toujours l’opportunité de se croiser dans le monde académique. L’autre ambition affichée de l’ouvrage est de mettre en avant la richesse des travaux francophones portant sur cette question, historiquement plus développée dans la littérature anglophone. Le résultat est une somme de questionnements stimulante.           

L’ouvrage se structure en deux parties. Après une préface de Jacques Commaille et une introduction des directeur·ice·s de publication, la première partie interroge les manières par lesquelles le droit, et les pratiques liées au droit, produisent, transforment ou renforcent les rapports de genre. Les deux premières contributions portent sur le droit lui-même et analysent les conséquences systémiques des choix d’écriture juridique. Alexandre Jaunait évoque l’inclusion en 2016 de la notion d’identité de genre en droit français et souligne l’effet performatif d’une modification qui vient non seulement redéfinir la transidentité, mais entraîne également des changements en cascade dans les autres aspects du droit. Amélie Bescont et Taïana Marcon traitent de leur côté de la réticence du législateur à reconnaître le concept de féminicide. Les chapitres suivants s’attachent, quant à eux, à analyser le comportement des praticien·ne·s du droit, et la manière dont leurs biais genrés orientent l’application des textes. Marion Flécher, Muriel Mille et Gabrielle Schütz présentent une étude de la division genrée du travail chez les avocat·e·s en droit de la famille, et mettent en lumière des différences de pratiques, de carrières, de conditions matérielles de travail et d’auto-perception en fonction du genre et de l’âge des enquêté·e·s.  Kathia Barbier étudie la sous-représentation des femmes dans les statistiques de la délinquance liée aux affaires de stupéfiants, et expose la part de responsabilité des stéréotypes des professionnel·le·s du droit, mais aussi celle des logiques structurelles de l’instruction judiciaire dans l’invisibilisation des femmes dans ces affaires. Enfin, Arthur Vuattoux procède à une étude des différences de traitement du corps des mineur·e·s placé·e·s par l’institution judiciaire au prisme intersectionnel, et montre l’influence des attentes de genre, de race et de classe sur les procédures retenues.

La seconde partie du livre change de focale et examine les manières dont le genre est mobilisé pour réclamer le changement du droit. Les quatre premières contributions étudient la question dans le cadre d’évolutions juridiques. Lison Guignard retrace ainsi l’histoire de l’adoption et des utilisations du protocole de Maputo. Jane Freedman analyse le traitement des violences sexuelles par la Cour pénale internationale et les résistances de l’institution à la prise en charge de ces crimes dont la preuve est jugée plus compliquée à apporter. Marième N’Diaye expose les stratégies des militantes de l’Association des juristes sénégalaises pour enrôler des femmes dans le soutien de leurs luttes, via notamment une mise en avant des spécificités culturelles et religieuses de la région dans leurs discours. Enfin, le chapitre de Stéphanie Hennette-Vauchez retrace les évolutions juridiques autour du concept de transidentité et montre comment, au travers des modifications du droit, la binarité du genre n’est jamais remise en question mais au contraire perpétuellement réaffirmée. Les quatre contributions se rejoignent dans les conclusions nuancées qu’elles tirent de ces tentatives de faire évoluer le droit : dans les quatre cas, les efforts déployés pour une meilleure prise en compte juridique du genre ne semblent se solder que par des victoires en demi-teinte qui, si elles sont importantes et notamment pour leurs conséquences sur les milieux militants, ne remettent que rarement en cause le fonctionnement général de l’ordre juridique. Le chapitre de Jane Freedman inclut à ce titre une réflexion sur la possibilité même de changer le droit de manière substantielle en faisant l’économie d’une transformation des institutions qui l’appliquent. Les deux dernières contributions de cette seconde partie prennent un tour plus théorique, traitant du potentiel transformateur du genre sur le droit. A partir de données d’enquête de répondant·e·s ne se reconnaissant ni comme homme ni comme femme dans un questionnaire du CEVIPOF, Réjane Sénac offre une réflexion sur les fondements philosophiques et les  potentielles conséquences juridiques d’une reconnaissance légale de la non-binarité du genre. Le chapitre de Bruno Perreau poursuit cette ambition de proposition théorique et argumente en faveur de l’inclusion du genre, plutôt que du sexe, dans le droit. Il développe l’argument que le genre aurait davantage de potentiel protecteur que le sexe dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en ce qu’il permet une pensée par analogie plutôt que par différenciation.  

L’ouvrage s’achève sur une conclusion de Véronique Mottier et Charles Bosvieux-Onyekwelu qui le replace dans l’histoire de sa tradition académique en général et dans le contexte académique et politique français en particulier, et sur une postface de Liora Israël.                

Cette lecture présente les avantages et les inconvénients classiques d’un ouvrage collectif : la grande diversité et richesse des cas étudiés et des questions abordées engendre nécessairement une moindre cohérence théorique et stylistique. Néanmoins, les contributions de cet ouvrage se répondent largement, dans leur remise en cause de la neutralité du droit d’une part et de la naturalité des rapports et des catégorisations de genre d’autre part, posant la question de la justification morale des uns et des autres. En ce sens, l’argument général du livre lui-même est politique, bien qu’il ne soit pas directement présenté comme tel. En utilisant le genre et son potentiel perturbateur comme entrée dans l’analyse, les autrices et auteurs soulignent tou·te·s à leur manière le caractère profondément politique des outils juridiques, et en ce sens re-politisent le rapport au droit. La richesse de cet ouvrage permet aux lecteurs et lectrices de suivre plusieurs fils théoriques. On pense notamment à une belle réflexion pleine de nuances et présente en filigrane autour de la capacité de transformation des institutions, prises entre les routines genrées des acteurs, le poids des structures et les appels au changement. Si l’on peut déplorer que l’effort de découvrir ces apports théoriques soit en partie laissé à la discrétion des lectrices et lecteurs, l’ouvrage pose indéniablement des jalons de réflexion enthousiasmants, qui ne manqueront pas, on l’espère, d’encourager le dialogue interdisciplinaire et la recherche en général sur ces thématiques

 


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